Directeur général de l’institut BVA, en charge de la BVA nudge unit, Eric Singler est aussi le père français du nudge, cette théorie issue des sciences comportementales dont le but est d’inciter les individus à adopter de manière indirecte des comportements plus vertueux. Associé à OGIC sur le projet New G, il explique pourquoi il est souvent si difficile de changer… même si le changement est bénéfique pour nous, notre communauté ou notre environnement immédiat ! Rencontre.
Rencontre avec Eric Singler, en charge de la BVA nudge unit
Quelle définition faites-vous du nudge ?
Eric Singler. Le nudge, c’est une action ou un ensemble d’actions qui vise à encourager les individus à adopter des comportements nouveaux et plus vertueux pour eux-mêmes, leur communauté ou la planète. C’est une approche enracinée dans les sciences comportementales, réputée comme particulièrement efficace pour initier le changement.
Comment la nudge unit est-elle intervenue sur le projet New G ?
Eric Singler. Nous avons été sollicités en tant que spécialistes des changements comportementaux et de la transformation des organisations par le biais du nudge. L’immobilier, c’est un nouveau secteur pour nous, particulièrement adapté à cette méthode d’incitation douce.
Le nudge rejoint l’ambition fondamentale de l’architecture : l’ambition d’engendrer des comportements par le bâti, ce qui était d’ailleurs le parti-pris des modernistes. Ce que le nudge rajoute à cette définition, c’est son enracinement dans les sciences comportementales, et une attention plus particulière au bien-être des habitants.
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Comment avez-vous décidé des trente-cinq idées présentes au sein de New G ?
Eric Singler. La première décision quand vous voulez utiliser l’approche nudge, c’est d’identifier quels sont les comportements que vous souhaitez encourager. Ont été retenus à l’unanimité le bien-être et la convivialité au sein de l’immeuble, et l’encouragement de comportements éco-responsables.
A partir du moment où l’on décide ces objectifs, il faut comprendre les micro-barrières qui freinent les individus dans l’adoption du comportement souhaité. Par exemple, pourquoi tout le monde souhaite agir de façon éco-responsable tout en continuant à prendre des bains !
Nous avons donc mené une étude ethnographique pour identifier ces micro-barrières, et opté pour une méthodologie d’entretien qualitatif auprès d’immeubles similaires au projet New G en termes de taille et de mixité, dans le XIIIe et le XVe arrondissement de Paris.
Qu’est-ce qui est ressorti de ces entretiens ?
Eric Singler. Avant toute chose, il faut bien comprendre que l’être humain n’est pas un être rationnel : nous avons beaucoup d’intentions très louables, et adoptons pourtant des comportements qui sont contraires à ces intentions. Cela s’explique par les biais cognitifs, des mécanismes de pensée selon lesquels nous sommes influencés par notre environnement direct et nos émotions.
Reprenons l’illustration du bain, que l’on sait pourtant très gourmand en eau. Pourtant, parfois, nous avons du mal à résister à un bon bain chaud : c’est parce que nous sommes soumis au biais du temps présent, qui fait que nous avons beaucoup de mal à résister à un avantage à court terme même si cet avantage peut avoir à moyen terme des conséquences indésirables.
Toujours sur les freins à l’adoption des écogestes, il faut également compter avec le biais du statu quo, qui nous fait de façon inconsciente préférer une situation actuelle à toute autre situation, y compris si celle-ci est plus avantageuse pour nous. C’est ce qui explique cette résistance naturelle au changement, ou plus familièrement, le fait que nous soyons un peu flemmards !
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Côté création de lien social, quels freins avez-vous identifiés ?
Eric Singler. Ils ont été moins faciles à cerner car de nombreux biais sont à l’œuvre dans cette situation de voisins qui ne communiquent pas ou très peu entre eux. Je mettrais donc en exergue le biais de l’aversion au risque, selon lequel nous avons une tendance naturelle à ne pas prendre de risque, donc à ne pas aller spontanément vers l’inconnu.
Pour répondre à cette situation, nous avons parié sur la création d’espaces de discussions au sein même de l’immeuble. Par exemple, la terrasse partagée du dernier étage, avec son potager, ou les paliers personnalisables grâce aux racks à vélo et aux tables basses permettant de poser livres et magazines à disposition du voisinage : plus que de simples paliers, ils deviennent de véritables cartes d’identité.
L’idée était vraiment de truffer au maximum l’immeuble d’occasions de rencontres de cette nature, pour contourner cette tendance naturelle au repli sur soi. Et ces exemples sont très « nudge » dans le sens où il s’agit vraiment d’incitations douces : l’environnement immédiat est paramétré pour permettre la rencontre, mais n’y oblige personne.
Comment savoir si cela fonctionne réellement ?
Eric Singler. Nous nous sommes engagés sur dix ans pour évaluer régulièrement le bien-être des habitants, à travers divers sondages et entretiens. De cette manière, nous allons pouvoir savoir très vite si un nudge ne fonctionne pas, et nous chercherons alors de nouvelles solutions.
L’autre suivi est plus technique : il s’agit de mesurer fréquemment la performance énergétique du bâtiment afin de voir si les nudges ayant trait aux écogestes sont efficaces. En cas de scores remarquables, ce projet, encore pilote, pourra donner lieu à une communication plus large !
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