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Nudge : une théorie pour révolutionner nos comportements

Le nudge est une théorie issue des sciences comportementales qui propose d’inciter un individu à agir, sans jamais chercher à le contraindre. Comme les acteurs de nombreux domaines, qu’il s’agisse de l’économie, de la politique ou encore de la sécurité publique, le secteur de l’immobilier se penche depuis quelques années sur le principe des nudges. L'idée : concevoir les habitats de façon à encourager certaines initiatives, par exemple, inciter les gens à prendre des décisions positives comme trier leurs déchets ou baisser leurs consommations d’énergies.

Définition du nudge : un “coup de pouce” pour changer les comportements

Inciter sans contraindre avec le nudge

Les motivations qui nous poussent à agir sont plus souvent émotionnelles que rationnelles. Nos choix sont alors influencés par des biais cognitifs, en lien avec notre environnement immédiat. La théorie du nudge,  ou « coup de pouce » en français, part de ce constat pour déterminer les facteurs qui jouent sur ce mode émotionnel, et modifier de manière bénéfique notre environnement et notre architecture de choix.

Issue de l’économie comportementale, cette technique vise à améliorer les comportements individuels en limitant l’impact négatif pour la collectivité. Le principe du nudge, théorisé par le prix Nobel d’économie Thaler et le juriste Sunstein, repose donc sur une petite intervention sur notre environnement, facile à esquiver, pour orienter notre prise de décision. 

Pour y parvenir, des mesures simples et peu coûteuses sont mises en place, afin de nous inciter à agir dans le sens souhaité, et à corriger progressivement nos habitudes. Ces techniques d’influence douce permettent d’éviter des mesures plus contraignantes, et moins efficaces. Mis bout à bout, ces changements individuels permettent d’obtenir un impact positif à grande échelle, comme dans le cas de l’aéroport d’Amsterdam, dont nous parlerons après.

Brève histoire du nudge, de Richard Thaler et Cass Sunstein à la nudge unit des gouvernements

La théorie du nudge est définie en 2008 par Thaler et Sunstein dans leur livre Nudge : améliorer les décisions concernant la santé, la richesse et le bonheur comme un aspect de l’architecture du choix qui modifie le comportement des gens d’une manière prévisible sans leur interdire aucune option ou modifier de manière significative leurs motivations économiques”.

Initialement inspirée des recherches en psychologie et en économie comportementale, elle est ensuite démocratisée en 2017, quand Richard Thaler reçoit l’équivalent du prix Nobel d’économie pour ses travaux sur l’économie comportementale.

Les premières applications des années 1990-2000 s’inscrivent dans le champ du marketing, mais deviennent politiques dès 2010, quand David Cameron dote son administration d’une “nudge unit”, suivi de Barack Obama en 2013. Les nudges développés ont en effet un coût peu élevé pour un effet maximal pour lutter contre l’obésité, favoriser le recyclage ou encore réguler la consommation d’énergie. 

En France, il faut attendre 2013 pour que le SGMAP, le Secrétariat général à la modernisation de l’action publique, commence à s’intéresser à l’économie comportementale, et crée sa nudge unit pour construire les politiques publiques à partir des comportements réels des usagers.

D’autres gouvernements étrangers se sont ensuite inscrits dans cette perspective, et la nudge unit anglaise est actuellement la plus développée. Elle travaille avec 30 pays sur des sujets tels que la collecte de l’impôt, le don d’organes, et plus récemment la sécurité routière. 

Des initiatives comme le Nudge Challenge organisé par Nudge France participent à faire naître de nouvelles idées !

Comprendre le nudge en 14 cas d’usage en France et ailleurs

Pour la propreté des espaces publics

  • Les urinoirs de l’aéroport d’Amsterdam : au-delà des usages du nudge dans le domaine du marketing, l’application la plus populaire est celle des urinoirs de l’aéroport d’Amsterdam. Les dispositifs contraignants ne suffisent pas à ce que les individus contribuent à la propreté des espaces publics, sujet abondamment traité par l’économie comportementale. En l’occurrence, le simple fait d’apposer de fausses mouches au fond des urinoirs pour inciter les citoyens à mieux viser a permis de réduire les éclaboussures de 80 %.
  • Voter avec des cendriers à Londres : les fumeurs londoniens ont été invités en 2015 à voter pour élire Ronaldo Messi “meilleur footballeur du monde” en jetant leurs mégots dans l’un ou l’autre compartiment d’un grand cendrier jaune canari en forme d’urne électorale. Le volume de mégots jeté sur les trottoirs a chuté de 20% en l’espace de 6 semaines grâce à cette initiative comportementale ludique de la fondation Hubbub.
  • Des poubelles courtoises à Paris : en France, la RATP se tourne également vers des nudges pour inciter les citoyens à des comportements plus vertueux. Choisir de jeter ses déchets dans les poubelles prévues à cet effet est ainsi récompensé par une communication positive telle que “Hourrah, un mégot qui ne terminera pas dans la Seine, merci”, une mécanique comportementale qui encourage les citoyens au respect de l’environnement par la norme sociale, et qui n’est pas la seule déployée par la RATP et la SNCF.

Pour la sécurité routière et la santé publique

  • Une illusion d’optique pour ralentir les voitures : pour améliorer la sécurité routière en réduisant le nombre d’accidents de la route sur un axe dangereux près de Chicago, des bandes blanches ont été peintes au sol, avec un espace de plus en plus réduit. L’objectif ? Donner une impression de vitesse, et ainsi remédier à l’envie d’accélérer des automobilistes. Grâce à ce système, le nombre d’accidents a baissé de 36%.
  • Un passage piéton en 3D pour que les automobilistes s’arrêtent : un exemple similaire de nudge se retrouve en Islande, dans  le village d’Ísafjörður, où un passage piétonnier tridimensionnel a été testé pour réduire la vitesse des voitures et protéger les piétons. Il s’agit d’induire une réaction comportementale instinctive des conducteurs afin qu’ils ralentissent. L’initiative est actuellement testée à Paris depuis 2018.
  • Des nudges pour que les enfants mettent leur ceinture dans le car scolaire : en France, l’approche « nudges » de la Fondation MAIF a remporté le Prix Innovation lors de la 4e édition des Concours Innovation Sécurité Routière 2020. Le jury a été particulièrement convaincu par l’utilisation du nudge pour améliorer le taux de port de la ceinture de sécurité en cars scolaires à travers des dispositifs visuels (posters et autocollants au sol) et tactiles.
  • Les applications sont également nombreuses dans le domaine de la nutrition : la politique du gouvernement français en la matière passe certes par des dispositifs de réglementation, mais inclut également une composante de nudge dans leur communication. Le Nutri-score s’inscrit dans cette démarche, dans la mesure où le logo nutritionnel apposé sur certains emballages de produits alimentaires vise à faciliter les choix du consommateur, en les classant du vert (A) au rouge (E). Il s’agit de simplifier l’information pour les aider à prendre la bonne décision.

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Eric Singler – Le nudge rejoint l’ambition fondamentale de l’architecture

Pour la protection des consommateurs et des usagers

  • Des standing desk en position debout pour favoriser la santé au travail : pour lutter contre l’inactivité physique lié au travail de bureau, une étude a été réalisée dans une entreprise qui avait installé des standing desk à ses salariés, qui ne les utilisaient pas. La stratégie gagnante était toute simple : il fallait changer le choix par défaut des bureaux. En effet, le simple fait de placer les standing desk en station debout à l’arrivée des employés le matin faisait passer le taux de travail debout dans la journée de 1.8 à 13.1 %. 
  • Le mimétisme comparatif pour pousser les citoyens à télédéclarer : l’accompagnement des usagers est aussi plébiscité dans le domaine administratif. C’est ainsi que la campagne française de l’impôt sur le revenu 2013-2014 comportait un nudge visant à populariser la télédéclaration, dont le coût est 40 fois plus élevé par papier et représente un coût écologique important. En soulignant la norme sociale à travers le message :  « Beaucoup de vos concitoyens télédéclarent », il s’agit de pousser les citoyens à faire de même grâce au biais de mimétisme comportemental. En quelques années, la télédéclaration est passée de 20% à 65% en 2019. 

Pour l’écologie et le développement durable

  • Une carte de crédit pour encourager les comportements écologiques : en 2011, la Corée du Sud déploie une politique publique visant à réduire l’empreinte environnementale des citoyens, notamment à travers la Green Card, une carte de crédit gratuite sur laquelle il est possible d’accumuler des éco-points en cas d’achats responsables. Ce dispositif de nudge s’inscrit dans le cadre d’autres politiques de la stratégie nationale pour la « croissance verte sobre en carbone », et se divise en trois domaines : consommations du logement, achats de produits verts et utilisation des transports en commun. Il s’agit d’un bon exemple d’incitation morale (via l’information et la sensibilisation) et comportementale, associée à une incitation financière intégrée dans des politiques globales.
  • Réduire la taille des poubelles pour encourager le tri sélectif : la ville d’Edimbourg a mis en place un nouveau système de collecte des déchets dans certains quartiers en août 2014, en réduisant notamment la taille du bac d’ordures ménagères de 240 litres à 140, et en simplifiant le dispositif de collecte sélective. Ce nudge venait répondre à des insuffisances en la matière, puisque la non atteinte de l’objectif de 50% ces dernières années lui coûtait très cher : la ville a pu réaliser une économie d’1 million de livres par an, et une baisse de 40% du volume des ordures ménagères.
  • Encourager les énergies vertes en les présentant comme le premier choix : le choix par défaut constitue un nudge particulièrement efficace, y compris en matière environnementale. En Allemagne, l’inclusion d’un tarif d’énergie renouvelable par défaut en plus de deux options alternatives par un fournisseur d’énergie a eu des résultats très convaincants : 94% de l’ensemble des clients ont ainsi choisi l’énergie verte.
  • Faire diminuer l’utilisation des sachets en plastique en ne les proposant pas par défaut : le fait de ne pas en mettre à disposition impliquait d’en faire la demande, ce qui a mené les clients à y recourir moins souvent. Si ces dispositifs sont laissés au bon vouloir des distributeurs en France, ils sont obligatoires en Chine depuis 2008. En deux ans, ce sont 40 milliards de sacs plastiques qui ont été économisés, soit 1,6 million de tonnes de pétrole en moins. 

Théorie du nudge : pourquoi nous l’appliquons à l’immobilier

Pour encourager les initiatives vertueuses : le projet New G, premier immeuble 100% nudge du monde

Chez Ogic, nous avons voulu appliquer l’approche nudge à l’un de nos projets, qui verra le jour fin 2022 dans la ZAC Paris Rive Gauche, dans l’élan inauguré par « Réinventer Paris ». Cet immeuble 100% nudge, dessiné par les architectes Catherine Dormoy (ACD Architecte) et Vincent Parreira (AAVP), sera une première en France et dans le monde. 

Les nudges sont particulièrement pertinents en matière d’immobilier : de nombreux dispositifs permettent d’orienter les décisions et les comportements des citoyens.

Ainsi, pour Eric Singler, directeur général de BVA chargé de la BVA Nudge Unit, le nudge et l’architecture sont complémentaires. Ils partagent le même but : « engendrer des comportements par le bâti ». Le principe ? Concevoir les habitats de manière à encourager certaines initiatives, par exemple, inciter les gens à trier leurs déchets, baisser leur consommation d’énergies ou prendre l’escalier.

Dans ce village vertical, tout a été pensé pour encourager les comportements bénéfiques et le bien-être des citoyens, à tous les niveaux.

Ces nudges appliqués aux lieux de vie permet entre autres de : 

  • favoriser le lien social avec de nombreux espaces aménagés à cet effet ;
  • encourager l’activité physique par une meilleure visibilité et accessibilité des escaliers qui évitent le choix par défaut de l’ascenseur ;
  • multiplier les écogestes pour réduire les dépenses énergétiques.

Selon le principe défendu par Thaler, le prix Nobel d’économie, “Si vous voulez que les gens fassent quelque chose, rendez-le simple », le ressort que nous privilégions pour favoriser les écogestes : les rendre plus faciles ! 

Un exemple concret ? Une communication du bilan énergétique comparatif sera réalisée chaque mois aux ménages sur le modèle du fournisseur d’électricité américain OPower. Il s’agit de mettre en perspective les consommations du ménage avec celles d’autres ménages comparables, en préservant l’anonymat de chacun. Ce mode de présentation déclenche une mécanique comportementale bien connue de chacun de nous : les ménages les plus responsables se sentent valorisés et font encore mieux ; les ménages qui se sentent moins concernés par leur consommation énergétique cessent peu à peu de se trouver des excuses et améliorent avec le temps leur comportement. 

En un mot, nous remplaçons le sentiment de déresponsabilisation, freins aux éco-gestes dans la vie de tous les jours, par une émulation positive ! 

Nudge vert : un atout pour l’environnement

L’habitat est un levier important pour relever les défis liés au développement durable. 

Agir pour la réduction d’énergie peut passer par de nombreux nudges, à commencer par le retour d’information ou “feedback” en anglais, analysé par Richard Thaler et Sunstein sur la base des travaux de Clive Thompson.

Ils pointent les effets de l’Ambient Orb, une sphère lumineuse qui change de couleur en fonction de l’utilisation d’énergie électrique. La réduction de consommation d’énergie induite est de l’ordre de 40 % à certaines heures.

Très concrètement, chaque Français consomme en moyenne 143 litres d’eau par jour dont 93% à son domicile. Un dispositif intelligent sous la forme d’un pommeau de douche qui passe du vert au rouge lorsque la douche dure trop longtemps permettrait qu’ils réalisent des économies d’eau. 

De l’importance d’une approche vertueuse à toutes les échelles

Pourquoi appliquer le nudge à l’immobilier ? Parce que notre mission, et la vie de nos bâtiments ne s’arrête pas à la livraison. Nous mettons tout en œuvre pour réduire l’empreinte de nos projets sur l’environnement dès la conception, lors de leur construction, mais aussi sur l’ensemble du cycle de vie. Comment faire en sorte que l’usage du bâtiment soit le plus vertueux possible sur la durée ? 

Le nudge est l’un de nos outils pour relever ce défi : une réponse au décalage qui existe parfois entre l’optimisation énergétique pensée au niveau architectural et la variation comportementale souvent observée au niveau individuel. En d’autres termes, l’optimisation des bâtiments n’a de sens que si l’économie d’énergie est ensuite appliquée par l’ensemble de ses habitants. 

Le nudge permet ici d’orienter les comportements individuels dans une dynamique vertueuse pour le collectif, par exemple via l’économie d’énergie, de manière à ce que chacun agisse mieux au quotidien et prenne les bonnes décisions.

Choisir cette approche du nudge non contraignante, pour nous, c’est contribuer à rendre nos habitants acteurs d’une ville durable.